Smelling Sessions : la scène olfactive chinoise en effervescence

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À l’occasion du Paris-Shanghai Perfume Show, l’ancien bâtiment industriel du Bastille Design Center s’est vu métamorphosé en véritable vitrine éphémère de la parfumerie chinoise. Une vingtaine de marques de parfums, pour la plupart encore inconnues du public français, étaient alors réunies pour présenter leurs créations au public, révélant tout un pan d’une scène olfactive chinoise encore largement inexplorée. 

Au cœur du programme, les Smelling Sessions ont rythmé la journée du vendredi : pensé comme un « smell dating », le dispositif offrait à chaque marque un temps de présentation devant un jury composé de quatre professionnels de la filière : Fanny Amiel (évaluatrice chez Symrise), Jérôme Herrgott (co-fondateur du Bureau du Parfum), Yohan Cervi (expert en parfumerie et rédacteur pour Nez) et Gabrielle Fourcade (également rédactrice chez Nez). Tour à tour, les fondateurs et créateurs venus de Chine ont pu raconter leur parcours et leurs inspirations, avant de les illustrer en parfums. 

À l’issue de cette séance, le jury avait pour mission de sélectionner quatre créations « coup de cœur » : des compositions jugées intéressantes et susceptibles de séduire le marché français. Une façon d’établir un pont entre la créativité chinoise et la distribution européenne, tout en mettant en lumière des constructions olfactives singulières et incarnées.

Nombre de compositions senties ce jour-là offraient d’abord une opportunité de se familiariser avec les ingrédients phares d’un pays qui, fort de ses vingt-quatre provinces, ne manque pas de ressources. Le thé, omniprésent, infuse les parfums de notes boisées, liquoreuses ou grillées, tandis que le jasmin, fleur impériale par excellence, souffle son aura narcotique. 

L’Osmanthus en parfumerie, le tout dernier Nez + LMR cahier des naturels

D’autres ingrédients se taillent leur part du lion, à commencer par l’osmanthus, fleur très familière dans l’imaginaire chinois commun, et prisée pour sa facette abricotée et cuirée. Les fleurs blanches (magnolia, lotus, fleur d’oranger) aux inflexions épicées et chaudes ne sont pas en reste et les bois de santal et de cèdre imposent leurs ossatures crémeuses en fond. Plus discrète, l’influence de la médecine traditionnelle chinoise (MTC) se glisse ici et là, à travers des notes herbales, résineuses ou médicinales. Cette tendance trouve un écho direct dans la philosophie du yang sheng (« nourrir la vie »), aujourd’hui adoptée par de jeunes consommateurs en quête de bien-être. 

Les récits qui accompagnaient ces parfums étaient souvent empreints de symboles forts liés à la nature et aux éléments. Montagnes enneigées, pureté de l’eau, forêts vierges… autant d’images poétiques qui traduisent une vision spirituelle et contemplative des odeurs. Ainsi, la jeune marque Chujian ouvrait le bal avec Phoenix rencontre la montagne – un thé oolong boisé aux accents liquoreux, invitation au voyage à travers les terres précieuses du Fujian – suivi par Chalet au crépuscule de la maison Narratus, incarnant le portrait olfactif d’un jardin en altitude. Ici, la rhubarbe, le pamplemousse et le cassis habillent l’accord thé de notes vertes et fusantes. 

D’autres maisons choisissent des partis pris plus radicaux. On peut citer parmi celles-ci Damfool Perfume, derrière laquelle se cache le parfumeur explorateur surnommé Waveman. Insatiable dans sa quête d’ingrédients capables d’enrichir sa palette, le parfumeur autodidacte a pu exhiber quelques trouvailles pour le moins déconcertantes : une essence issue des excréments de yack (étonnement douce et lactonique), et une distillation d’épines de porc-épic. Au-delà de ces expérimentations, c’est son parfum Macao Egg Tart qui a retenu l’attention du jury. Véritable prouesse de réalisme, la composition évoque sans détour les effluves de la célèbre pâtisserie chinoise : vapeurs lactées d’un lait frémissant, facettes grasses du beurre, notes soufrées de l’œuf, le tout relevé d’une pointe zestée de citron. Une œuvre brute et figurative. 

Le parfumeur Waveman
Le parfumeur Waveman (Damfool Perfume)

Plus sobre, la marque Zhufu séduit avec Donglin Temple, une collaboration avec le Buddha temple de Shanghai. Un départ poivré annonce une rose fumée et habillée d’un épais manteau d’encens. Aged Pu-er Tea s’est quant à lui directement imposé dans la sélection finale : un hommage figuratif au célèbre thé grillé, enrichi de nuances salines et ozoniques.

 

Aged Pu-er Tea, un parfum de la marque Zhufu

La maison L’Atelier Möbius, déjà remarquée pour la qualité exceptionnelle de ses attars et de ses huiles a marqué un dernier temps fort avec China Plum. Cette création délicieusement vintage, portée par une rose veloutée et épicée de girofle, rend hommage à la fleur de prunier, emblème de résilience et de beauté fragile. Sa profondeur et la dimension chaude et tactile du parfum ont achevé de convaincre le jury. 

Shiyue Lou, représentante de la marque L’Atelier Möbius

La révélation de la journée est venue d’un jeune parfumeur indépendant, Michael Feng, fondateur de la marque Voice from the Sky. Formé en France à l’ISIPCA, il déploie un univers intime et  vibrant, d’une grande précision technique. Ses créations impressionnent par leur justesse, à l’image de Gentle King, surdose de poivres vert et noir relevée par l’amertume de la gentiane et adoucie par un fond musqué moelleux, ou encore Talking to the Moon, un bois de santal caressé d’encens et d’élémi, évoquant le papier d’Arménie. Mais c’est surtout Let me Out qui a conquis le jury : un parfum vaporeux et racinaire, où cannelle, shiso et girofle se fondent dans les volutes fumées du labdanum. 

Le parfumeur Michael Feng (Voice from the Sky)

D’autres maisons méritaient également le détour, à l’instar de Cottee, dont la fondatrice Cheng Wang a d’abord ouvert un coffee shop à Shanghai, avant de lancer sa collection de bougies puis de parfums inspirés par ses nombreux voyages. Le parfum Tokyo s’ouvre sur des notes gourmandes de café torréfié et d’eau de cuisson du riz, clin d’œil aux ruelles parfumées de la capitale de l’Est. 

Si les Smelling Sessions ont permis d’élire nos quatre coups de cœur, elles ont surtout offert aux 2 200 visiteurs présents un aperçu d’un paysage olfactif en pleine ébullition, où se dessine l’émergence d’une voix singulière, prête à se faire entendre sur la scène internationale.

LE PODIUM DES SMELLING SESSIONS

1- Let me out de Voice from de Sky 

2- China Plum de Atelier Möbius 

3- Macao Egg Tart de Damfool Perfume

4- Aged Pu-er Tea de Zhufu